Nicolas et Dominique
Réponse à la lettre ouverte de Dominique
VOYNET, candidate verte à la présidentielle.
Tu as choisi la
politique, j'ai pris une autre voie Par Nicolas HULOT Nicolas Hulot président de la
Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme. Chère Dominique, je profite de
l'hospitalité de Libération pour répondre à l'amicale
interpellation que tu m'as adressée dans ces colonnes le 22 novembre (1). Tu as
raison, Dominique, nous partageons depuis longtemps le même diagnostic et
la même angoisse sur l'état du monde et les conséquences dramatiques que
l'épuisement des ressources et la dégradation des équilibres naturels vont
entraîner sur les hommes et les femmes de notre planète, particulièrement chez
les plus pauvres, au Nord comme au Sud. Nous partageons aussi le même sentiment
sur l'urgence d'opérer une profonde mutation de nos systèmes d'organisation
collective et des comportements qui lui sont liés. Si nous ne réagissons pas à
hauteur des enjeux et quand je dis nous, je pense à l'ensemble de la
société, pas seulement aux responsables politiques, aux décideurs économiques,
aux acteurs sociaux ou aux intellectuels, mais aussi aux gens «ordinaires»
, c'est l'implacable loi du temps et de la nature qui nous imposera son
diktat. Je le répète avec gravité chaque fois que j'en ai l'occasion : il s'agit
d'une cause commune à tous les hommes, personne ne sera épargné, personne ne
doit se sentir exonéré.
QUOTIDIEN : vendredi 1 décembre
2006
Pour agir, nous avons choisi deux voies différentes. Avec les Verts, depuis longtemps, tu t'efforces d'infléchir les politiques en ayant fait le choix d'une alliance privilégiée avec les forces de gauche. Je le comprends et je le respecte. Je ne suis pas de ceux qui méprisent votre engagement militant. Le travail souvent ingrat et courageux de vos élus locaux, régionaux et européens est loin d'être négligeable. Il est même essentiel. Est-ce susceptible de modifier les tendances lourdes qui nous plombent ? Le «rapport de force» que vous souhaitiez établir est-il suffisant pour que la société s'y appuie et engage sa mutation ? C'est à vous d'examiner lucidement l'état des lieux et le rôle que vous jouez. Néanmoins, Dominique, si on croit ce qu'on dit, tu conviendras aisément avec moi que la situation exige une mobilisation massive. L'impératif écologique, s'il est devenu la priorité des priorités comme nous le pensons toi et moi, ne doit plus se limiter à constituer un enjeu électoral entre la droite et la gauche, abandonné en sous-traitance aux Verts à gauche ou à d'autres groupes à droite.
Tu as fait un choix de positionnement à l'intérieur du paysage politique classique. J'en ai fait un autre, moins directement politique (j'ai même refusé deux fois d'être ministre et j'ai d'ores et déjà repoussé les appels qu'on m'adresse pour l'après-présidentielle), d'ambition plus citoyenne. Médiateur «médiatique» et porte-parole d'une ONG (la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme), j'ai tenté d'influer sur le cours des choses en cherchant à sensibiliser, et si possible à convaincre, l'ensemble du corps social, sans exclusive, de l'urgente nécessité d'apporter des réponses collectives à la crise environnementale, y compris en m'adressant aux responsables politiques, quelle que soit leur identité idéologique. Y suis-je mieux parvenu que toi et les Verts ? Ce n'est pas à moi de juger. C'est ce qu'il s'agit de faire aujourd'hui qui m'importe.
Mon action ne se situe donc ni à droite, ni à gauche, ni même au centre. Et c'est dans la continuité de cet esprit que j'ai lancé l'initiative du Pacte écologique. Je ne nie pas les différences historiques entre les deux blocs. Leurs clivages relèvent d'un vrai débat démocratique et impliquent des choix légitimement différents. Mais, au regard de ce que je crois être le déterminant majeur de l'avenir, la crise écologique, les fondements sur lesquels repose l'opposition droite-gauche, ne m'apparaissent pas pertinents. En effet, la possibilité future de production et de redistribution des richesses est désormais conditionnée par l'état de la planète. Avec des ressources naturelles en voie d'épuisement et des grands équilibres du vivant fortement compromis, il n'est plus envisageable de concevoir la répartition des parts du gâteau de la richesse autour de sa croissance illimitée.
C'est à partir de ce constat, radicalement inédit dans l'histoire de l'humanité, que les politiques doivent désormais se redéfinir, à droite comme à gauche, et offrir des solutions qui, pourquoi pas, peuvent s'avérer différentes et provoquer de féconds débats démocratiques. Répondre au défi écologique constitue aujourd'hui la première tache politique, le socle commun de tous les choix à venir.
Oui, Dominique, je le sais mais tu fais bien de le rappeler : il ne suffira pas d'agir à la marge et d'additionner les gestes de bonne volonté, individu par individu. Il n'y a pas compatibilité entre le système économique tel qu'il fonctionne et l'imaginaire culturel qu'il déploie, et la mutation à laquelle nous sommes conviés. Nous devons nous engager vers des changements structurels auxquels le logiciel du libéralisme, à base de laisser-faire et de logique marchande, n'échappera pas. Mais les postures dénonciatrices et les incantations ne suffiront pas. Il importe maintenant de savoir comment nous allons faire.
C'est tout le sens des propositions du Pacte écologique. C'est pourquoi, Dominique, je me réjouis que tu l'aies signé et t'invite, ainsi que les autres candidats à la présidence de la République qui l'ont eux aussi signé, à devenir une de ses partenaires actives.
Je te livre ici spontanément ce qui
est ma ligne de conduite aujourd'hui. Elle demeurera celle-ci jusqu'à ce que je
puisse évaluer dans les semaines à venir de sa réelle utilité et
efficacité.
(1) «Tu es des nôtres Nicolas Hulot» www.liberation.fr/rebonds/218515.FR.php