Les oubliettes de l’Oncle Sam
La CIA gérerait un
réseau de prisons secrètes disséminées dans huit pays du monde. C’est
le Washington Post qui l’affirmait hier. La Maison Blanche a refusé de
commenter cet article. Elle ne dément, autrement dit, pas
Toutes les
libertés inscrites dans les droits occidentaux et fondant l’Etat de
droit et la démocratie découlent d’un texte. Ce texte, c’est l’Habeas
corpus, loi adoptée par le Parlement anglais en 1679 et faisant
obligation de présenter tout détenu à un juge dans les trois jours
suivant son arrestation.
Depuis, la détention arbitraire est aux
dictatures ce qu’elle est aux démocraties, un marqueur, celui qui range
un régime d’un côté ou de l’autre mais cette détention arbitraire, les
Etats-Unis l’ont aujourd’hui secrètement institutionnalisée.
Six
jours après le 11 septembre, révélait hier le Washington Post, Georges
Bush signait un « sweeping finding », disons un décret cadre,
autorisant la CIA à tuer, capturer et détenir les membres d’al Qaëda
partout dans le monde. C’était la guerre, dira-t-on. Oui, c’est vrai
mais, pour les démocraties, même la guerre a ses lois, heureusement
rendues universelles par le droit international, et dans les mois qui
ont suivi ce décret, la CIA a réinventé les oubliettes des seigneurs et
la lettre de cachet des monarques en créant un réseau de prisons
clandestines, dites les « sites noirs », où elle pouvait détenir à sa
guise des prisonniers qu’elle préférait conserver vivants pour les
faire parler.
Des juristes de la Maison-Blanche et du Département
de la Justice ont donné leur feu vert et, l’abus nourrissant l’abus, ce
ne sont pas seulement les grosses prises, de vrais rouages d’al Qaëda,
qui se sont ainsi retrouvées arbitrairement détenues mais aussi des
dizaines de simples suspects sur lesquels ne pesait aucune vraie
charge. Par crainte de la justice américaine, ces sites noirs n’ont pas
été créés aux Etats-Unis mais dans huit autres pays parmi lesquels
l’Afghanistan, la Thaïlande qui a exigé la fermeture du sien en 2003,
et plusieurs des nouvelles démocraties d’Europe de l’Est, aussi, dont
le Post a renoncé à donner les noms à la demande pressante des
autorités américaines qui lui ont fait valoir qu’il pourrait,
autrement, en faire des cibles d’attentats.
C’est dans l’un de ces
pays que se trouverait actuellement le plus important de ces sites,
installé dans une ancienne enceinte des forces soviétiques. Tout comme
ils auraient été illégaux aux Etats-Unis, les sites noirs le sont dans
les pays où la CIA les a créés et les gère car les personnes qui y sont
détenues le sont secrètement, dans des cellules souvent souterraines,
sans pouvoir bénéficier de la protection de la Justice et de
l’assistance d’un avocat et qu’elles y sont torturées, notamment par
suffocation, suivant des « techniques d’interrogatoire renforcées »
définies par l’Agence de renseignement américaine.
Nourries de
chiffres, de dates et de citations de témoins anonymes, ces révélations
du Post sont, par leur publication, une bonne nouvelle. La bonne
nouvelle est qu’il y a, aux Etats-Unis, des fonctionnaires et des
journaux pour dénoncer un aussi épouvantable manquement à toutes les
règles de droit. La mauvaise nouvelle n’est, elle, que trop évidente.
Organisé par la Maison-Blanche qui n’a pas démenti une ligne de cet
article, un tel crime contre le droit est aujourd’hui possible en
Amérique et des pays sortis du communisme y prêtent la main.
Géopolitique
Une chronique de Bernard Guetta du lundi au jeudi à 08h17 sur France Inter
Pour écouter cette chronique :
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-inter01/information/chroniques/chronique/index.php?chronique_id=44